Une nouvelle étude de l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) dans des pays comme l'Inde, les Philippines ou le Chili, met en évidence la forte incidence des inégalités sociales sur les systèmes éducatifs primaires dans de nombreux pays et la difficulté de donner les mêmes chances à tous les enfants...
Dans un rapport intitulé A View Inside Primary Schools, l’Institut présente les résultats d’une enquête exceptionnelle menée dans 11 pays* d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique du Nord. Dans le cadre du Programme sur les indicateurs de l'éducation dans le monde (IEM), les pays ont participé activement à la conception et à la réalisation de cette enquête, afin d’analyser les éléments qui déterminent la qualité de l’enseignement et l’égalité des chances dans le primaire.
Les enseignants de quatrième année et les directeurs de plus de 7 600 écoles primaires ont répondu à des questionnaires détaillés sur le fonctionnement des établissements scolaires, sur les méthodes pédagogiques, sur les conditions d’apprentissage et sur l’aide dont bénéficient les enseignants et les chefs d’établissements.
"Cette étude est une mine d’informations. Tout d’abord, elle nous permet de mesurer à quel point les écoles manquent des ressources les plus élémentaires, comme l’eau courante ou l’électricité, qui vont de soi dans les pays développés", affirme Hendrik van der Pol, directeur de l’ISU. "Mais, poursuit-il, elle montre aussi combien les inégalités sociales déterminent les possibilités d’apprentissage d’un enfant. Et il est clair qu’aucun pays, qu’il soit riche ou pauvre, n’échappe à ces disparités".
Le rapport montre d’abord les importants écarts de ressources entre les écoles urbaines et rurales. Ainsi en Inde**, 27 % des écoles de village sont raccordées au réseau électrique, contre 76 % dans les villes et les agglomérations. Seule la moitié environ de ces écoles rurales a suffisamment de toilettes pour les filles et moins de 4 % disposent du téléphone.
Au Pérou, moins de la moitié des écoles de village ont l’électricité, une bibliothèque ou des toilettes pour les garçons ou les filles. À l’inverse, en milieu urbain, presque toutes les écoles ont l’électricité, 65 % d’entre elles sont suffisamment équipées en installations sanitaires et 74 % disposent d’une bibliothèque.
D’une manière générale, les écoles de village ont davantage besoin de réparations selon les résultats de l’enquête. Au Pérou et aux Philippines par exemple, d’après les directeurs des établissements scolaires, 70 % environ des élèves vivant en milieu rural fréquentent des établissements qui nécessitent d’importants travaux, voire une reconstruction complète. Au Brésil, la moitié des élèves étudient dans des classes décrépites dans les villages, alors qu’ils ne sont que 30 % dans ce cas dans les villes.
"Il est choquant de penser que les ressources dont bénéficient les élèves dépendent de l’endroit où ils vivent", avance YanHong Zhang, l’un des auteurs du rapport. "Mais ce n’est pas tout, ajoute-t-il. L’étude montre que la probabilité que les élèves appartiennent à des familles défavorisées est plus forte dans les villages. Ainsi, les inégalités en matière de ressources scolaires sont en rapport avec les conditions socio-économiques des élèves. De fait, ces enfants sont doublement défavorisés puisqu’ils ont moins de ressources aussi bien à la maison qu’à l’école."
Les enseignants et les chefs d’établissements interrogés au cours de cette enquête ont évalué la situation de leurs élèves selon différents indicateurs, allant des revenus de la famille jusqu’au niveau d’instruction des parents, en passant par la fréquence avec laquelle les enfants sautent des repas. Ces informations ont servi de données de base pour constituer un index destiné à analyser les rapports entre le statut socio-économique et les conditions de scolarisation, y compris l’environnement éducatif.
L’un des facteurs déterminants pour l’environnement éducatif est l’implication des enseignants et des élèves. Selon l’étude, les enseignants et les chefs d’établissements travaillant dans des écoles qui accueillent des enfants socialement défavorisés observent habituellement chez ceux-ci une motivation moindre et davantage de problèmes de comportement. Ce trait est particulièrement saillant dans les pays d’Amérique latine et si on compare les écoles privées et publiques.
Ces résultats se fondent sur des perceptions et ils doivent donc être interprétés avec prudence. Les enfants défavorisés sont-ils réellement moins motivés à l’école ? Ou les conditions de travail difficiles faussent-elles le point de vue des enseignants sur leurs élèves ? Dans les deux cas, les auteurs du rapport jugent la situation préoccupante. Les perceptions négatives peuvent engendrer un cercle vicieux par lequel les enseignants, les parents et les élèves attendent moins de l’école et en font moins.
L’enquête IEM sur les écoles primaires souligne combien cette spirale de la désillusion peut peser sur l’environnement éducatif. Elle livre des informations détaillées sur plusieurs sujets, qui vont des efforts consentis par les écoles pour permettre à tous les élèves de réaliser leur potentiel scolaire jusqu’à la participation des parents à l’instruction de leurs enfants.
Près de 60 enfants en moyenne par instituteur dans les écoles rurales (Inde)
Les données indiquent que les conditions de travail sont ressenties comme plus difficiles dans les écoles qui accueillent principalement des élèves défavorisés. Dans ces écoles, les enseignants trouvent généralement des motifs d’insatisfaction dans leur rémunération, le manque d’implication des parents, les effectifs des classes et l’accès insuffisant à du matériel pédagogique.
L’enquête comprend également un questionnaire portant spécifiquement sur les chances offertes aux élèves d’acquérir des connaissances par la lecture. Dans la plupart des pays, les enseignants qui ont des élèves motivés et favorisés ont généralement recours à des matériels et activités didactiques plus stimulants. Ils font également appel à des méthodes pédagogiques plus créatives. En revanche, les enseignants qui ont des élèves défavorisés décrivent leur démarche pédagogique comme moins exigeante et plus souvent basée sur la récitation par cœur.
Comme le soulignent les auteurs, il est urgent de consacrer davantage de ressources aux écoles qui accueillent des enfants de groupes sociaux défavorisés. Cependant, la réfection des salles de classe et les bibliothèques scolaires, par exemple, ne garantit pas à elles seules que tous les enfants auront la possibilité de réaliser leur potentiel scolaire. Il est nécessaire de mettre en œuvre des politiques ciblées pour améliorer l’environnement éducatif des élèves et les conditions de travail des enseignants et des chefs d’établissements. Les inégalités participent d’un ensemble complexe de problèmes qui pèsent sur la société tout entière. Mais, moyennant un soutien approprié, les écoles peuvent améliorer les chances de réussite de l’ensemble des élèves.
Faits et chiffres tirés de l’enquête IEM sur les écoles primaires :
• Plus d’un élève sur cinq fréquente une école sans eau courante au Paraguay, aux Philippines et au Sri Lanka.
• Aucun des pays étudiés n’a de bibliothèque dans chaque école. En Inde, au Paraguay, au Pérou, aux Philippines, au Sri Lanka et en Tunisie, moins de la moitié des élèves sont scolarisés dans des écoles ayant le téléphone.
• À peine plus de la moitié des élèves concernés par l’enquête IEM fréquentent une école dotée d’un ordinateur à usage administratif. Ils sont relativement peu nombreux dans ce cas en Inde, au Paraguay, au Sri Lanka et en Tunisie. Le Chili, en revanche, affiche un nombre élevé d’écoles équipées d’ordinateurs à l’usage des élèves et reliés à Internet.
• En Tunisie, les parents d’un tiers des élèves doivent payer les manuels scolaires. C’est le cas pour 24 % des élèves en Argentine et presque 10 % des élèves en Inde. Le Sri Lanka est le seul pays étudié à fournir gratuitement des manuels scolaires à presque tous les élèves.
• Deux tiers ou plus des élèves en Argentine, au Brésil, en Malaisie, en Tunisie et en Uruguay fréquentent des écoles où moins de 70 % des enseignants enseignent depuis au moins cinq ans, ce qui indique un problème de stabilité du personnel enseignant.
• Le nombre moyen annuel d’heures d’enseignement varie entre 754 heures, au Paraguay, et plus de 1 000 heures au Chili, en Inde, en Malaisie et aux Philippines. Le Chili, l’Inde et les Philippines présentent de fortes disparités internes puisque les différences en termes de charge horaire annuelle peuvent dépasser 440 heures.
• L’enseignant type de quatrième année du primaire, à la lumière de l’enquête IEM, enseigne 23 heures par semaine dans une seule école. La charge horaire hebdomadaire des enseignants de quatrième année de primaire travaillant dans une école varie entre 14 (en Malaisie) et 31 (au Chili et aux Philippines).
• A l’exception de l’Inde, de la Malaisie et du Sri Lanka, la plupart des enseignants se déclarent peu satisfaits de leur rémunération. L’Inde et le Sri Lanka sont par ailleurs les seuls pays de l’enquête où plus de la moitié des élèves ont des enseignants qui considèrent que leur situation professionnelle est plus enviable que celle d’autres métiers à qualification comparable.
* Argentine, Brésil, Chili, Inde, Malaisie, Paraguay, Pérou, Philippines, Sri Lanka, Tunisie et Uruguay.
** L’étude a été conduite dans les États de l’Inde suivants : Assam, Madhya Pradesh, Rajasthan et Tamil Nadu.
Lien utile
Rapport intégral (anglais)